
Ceux qui y avaient été la veille m’avaient prévenue : « Arrive tôt ! ». Je les en remerciais en mon for intérieur, alors que la file d’attente était déjà bien constituée peu avant 17h, et que je prenais ma place dans la queue, objectif premier balcon.
Quatre ans après la sortie de son premier album, Tamino est à ce moment de l’entre-deux où les salles prévues à l’avance sont déjà trop petites, mais où il reste encore inconnu du grand public. Les passants, devant la longueur de la file qui a déjà tourné le coin de la rue à 17h30, s’interrogent sur l’artiste programmé ce soir, dont le nom ne leur dit rien.
J’aime ces instants précieux, presque privilégiés, où l’on se sent détenteur d’un secret qui n’aurait pas encore été découvert, mais dont on sait que la révélation fera l’effet d’une bombe.
Tamino, avec la finesse qui le caractérise, l’avait anticipé. N’a t-il pas appelé son nouvel album Sahar, qui, en arabe, désigne ce qui est encore la nuit mais précède tout juste l’aube ?
Autour de moi, mes compagnons d’attente sont surtout des compagnes, des étudiantes d’après ce que j’entends, dont, pour celles qui attendent seules en ce milieu d’après-midi, beaucoup lisent « un vrai livre ». C’est étrange d’avoir à l’écrire, mais à l’heure où le défilement de l’écran de téléphone portable s’est imposé en masse, les guillemets s’imposent naturellement à l’évocation de la pratique de la lecture en format papier.

Il est 18h30 lorsque les portes s’ouvrent. La plupart de celles qui sont arrivées tôt (les premières vers 13 ou 14h, me dit-on), ont la fosse et le bord de scène en ligne de mire. Nous pouvons donc tranquillement nous installer au 1er rang du 1er étage, où trois jeunes filles sont cependant déjà assises, nous faisant manquer d’un cheveu la situation parfaite de l’Empereur et de l’Impératrice, à l’exact centre de leur loge impériale. Mais je chipote.
A notre gauche, ça discute biographie. « Mais je ne comprends pas, est-il belge, où égyptien ? ». Comme d’habitude cela me démange de répondre ; je ronge mon frein, mais la réponse me satisfait : « sa mère est belge, mais son père est d’origine égyptienne et était chanteur ». Je garde les compléments pour moi : la mère grande amatrice d’opéras, qui jouait beaucoup de piano et lui a transmis son amour de la musique ; le père qui les a quittés alors que Tamino était encore très jeune, chanteur, certes, mais pas aussi connu que son grand-père, Moharram Fouad, célèbre acteur et chanteur égyptien. Quand on aime, on a envie de tout partager, c’est irrésistible !

On était là si tôt que les minutes semblent durer des heures. L’impatience est grande, d’autant que les échos de la soirée d’hier sont dithyrambiques, avec des alternances de silences religieux et d’ovations qui l’ont fait remercier, et sourire, et même (on a vu la vidéo sur Twitter), faire des cœurs avec les doigts. Tamino aurait beaucoup parlé en français (« Vous êtes chauds »), rougi, interagi avec un public particulièrement démonstratif. On sait qu’on attend une version bouleversante de Cigar au piano, de belles lumières, que les titres du nouvel album sont très bons, qu’il continue à bluffer ceux qui l’ont déjà vu plusieurs fois (« Ça faisait bien longtemps que je n’avais pas été aussi concentrée sur de la musique » – Eline), qu’il était très en forme avec ses musiciens, que sa voix et son interprétation étaient magnifiques, et que Loverman, la première partie, est un phénomène « à deux doigts de voler la vedette à Tamino » (Astrid).

James de Gref à la ville, Loverman est effectivement assez bluffant. Même sans adhérer totalement à ses balades country, on ne peut qu’être conquis par cette sorte de troubadour à la voix grave, grand séducteur, qui vient chercher le public avec une facilité déconcertante (on vous laisse la surprise de sa fin de concert si un jour vous allez le voir). L’homme habite la scène comme s’il s’agissait de sa deuxième maison. Il faut dire qu’il est un enfant de la balle, puisqu’à l’âge de huit ans, il était déjà la voix flamande de Némo. Tamino n’hésite d’ailleurs pas à dire son admiration pour celui dont il attend avec impatience la sortie de son tout 1er album ; on le comprend, tant il a su marquer les esprits en l’espace de quelques minutes.

Et puis, enfin, après ces heures d’attente accentuée par le concert du lundi, Tamino.
Comme toute blogeuse freak qui se respecte, j’avais récupéré la set list de la veille et prévu quelles chansons filmer et quelles autres, déjà immortalisées lors de concerts précédents, laisser de côté. S’il a fallu m’attacher les mains dans le dos pour sciemment ignorer Fascination, j’avais perdu toute volonté pour The First Disciple (le oud ! la batterie ! ces paroles qui touchent au cœur : « I’m afraid that no amount of fame / Will ever wash away the shame / Of knowing not how to love your only friend /Who will love you ’til the end ») ou pour certains titres du premier album, Persephone demeurant ma préférée. Pour Habibi, j’ai fait pire encore, avec le seul extrait des sublimes vocalises de fin (bien meilleures que celles de la veille), et au téléphone portable encore. Mais comment résister ?
Parmi les titres du 2ème album à explorer davantage, The Flame, porté par la batterie de Ruben Vanhoutte (particulièrement acclamé à la fin du concert) est l’un des plus rythmé d’un live qui laisse la part belle à l’introspection et aux chansons plus mélancoliques.
My Dearest Friend and Enemy, interprétée en solo à la guitare acoustique, a des airs de jolie balade comme on imagine volontiers en écouter autour d’un feu de camp. A y prêter véritablement attention, elle se fait en réalité l’écho d’un cœur brisé par la séparation.
Au rang des titres moins connus, Longing est certainement l’un des meilleurs. « The longing never bared – Aches to be revealed », le thème du désir et de l’attente est si parfaitement approprié à la soirée que c’en est troublant. Nourris des retours de la veille, on réalise que l’attente était si élevée que la réalité ne pouvait qu’être décevante en comparaison. On savait que contrairement à ce qui avait été annoncé pour cette tournée, Colin Greenwood serait absent. Pas de problème, c’est bien Tamino que l’on venait voir. En revanche, on avait eu tort de se projeter dans le Tamino du lundi, souriant, communicatif, heureux, alors que c’est à peine si celui qui se produit devant nous ouvre les yeux. A plusieurs reprises, pourtant, le jeune artiste avait prévenu qu’il était bien plus à l’aise dans les moments d’écriture et de composition que dans les temps relationnels, qui lui demandaient bien plus d’énergie qu’ils ne lui en apportaient. Deux soirs de suite, c’était peut-être trop pour conjuguer prestation aussi parfaite sur le plan musical que sur le plan de l’interaction avec le public ?
S’il faut faire le deuil de l’ambiance incroyable du premier soir, l’exécution parfaite des chansons, la voix exceptionnelle de Tamino (notamment sur Habibi), la chance de se délecter des nouveaux titres en live et de se laisser toucher par les paroles de ses chansons adoucissent cette petite déception.
D’autant que comme s’il voulait se faire totalement pardonner, c’est seulement en ce deuxième soir qu’il nous offrira un nouveau titre, en exclusivité totale et absolue, Devotion. Deal.
On pardonnera moins, en revanche, la jeune fille qui criera « T’es trop beau » sur les premières notes de Only our Love, curieusement retenu pour clôturer le concert.
Même si le rendez-vous n’était pas totalement réussi, avec un Tamino sans doute plus fatigué qu’il ne l’aurait voulu, rien ne nous empêchera de retourner l’applaudir Zénith en mars.
Le Zénith. Déjà !
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Paylist vidéos sur la chaine Youtube Isatagada ICI
Album photo sur le Flick’r Isatagada, LA

Set list : A Drop of Blood / The Longing / The Flame / Fascination / Sunflower / Persephone / You Don’t Own Me / My Dearest Friend and Enemy / Devotion (new song, 1st performance ever) / Indigo Night / The First Disciple / W.O.T.H / Habibi / Cigar / Only Our Love.